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ÉPISODE 1

Synopsis.

     Bien des années auparavant, une série de mystérieuses disparitions d’enfants avait ébranlé une partie de la Sibérie. Évaporés dans de troublantes conditions, ceux-ci n’avaient jamais été retrouvés. Des évènements étranges avaient conduit la population à taire et ignorer les faits. Trente ans plus tard, les disparitions reprennent accompagnées de l’angoisse d’antan et de parfaites similitudes… Seule une jeune femme fraichement débarquée dans la région enquête sur la vérité, ignorant où elle met les pieds.

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1– Les dortoirs

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      L’arrêt du camion provoque un grincement strident. Le chauffeur accompagné de son acolyte ouvre le hayon pour faire descendre les enfants. Tous les deux sont répugnants, mal rasés, souillés de cambouis, sentant le vieux tabac et la nourriture, et en manque cruel d’hygiène. Les marmots, entassés les uns sur les autres, sont transis de froid. Au beau milieu de cette forêt sibérienne, au fin fond de nulle part, en plein hiver, avec une épaisse couche de neige, ces malheureux ne portent que de petites chaussures et de maigres manteaux. L’homme leur ordonne de descendre. Il vocifère, les presse en les bousculant. Certains d’entre eux pleurent, agaçant cet homme grand et costaud au visage buriné. Il lance quelques instructions à l’intention de son accompagnant. Celui-ci s’exécute en dirigeant la marmaille vers un vieux baraquement. Les pieds gelés des pauvres enfants s’enfoncent dans la neige. À l’entrée se tient une femme maigre, à l’air autoritaire et au regard glacial. Sans dire un mot, elle sépare les filles des garçons et les envoie dans leurs dortoirs respectifs. Les gamins vacillent, certains trébuchent, épuisés par un long voyage. La mégère attribue à chacun d’eux un lit, puis un casier rouillé et grinçant qui évidemment ne ferme pas. Les mômes âgés de huit à treize ans la regardent avec des yeux interrogateurs. Ils sont perdus, inquiets. Ils ont peur… Mais peur de quoi ? Que font-ils ici et d’où viennent-ils ?

—  Silence les mioches ! crie soudain la femme en entrant dans le dortoir des filles.

      Les pleurs de certaines la rendent nerveuse. Elle s’approche d’une gamine plus jeune que toutes les autres. Elle consulte une liste, accrochée par une pince métallique sur plaque de bois, qu’elle tient fermement.

— Toi, tu es Clara, la chouineuse. Cesse donc de gémir !

     La petite, âgée de six ans seulement, réprime ses sanglots et hoquette sans pouvoir s’arrêter. La femme passe son chemin pour se diriger vers une seconde fillette, plus âgée, en larmes. Elle se plante devant elle, puis soudain, la gifle. La claque résonne dans le dortoir. Les yeux sidérés des enfants lui décrochent un sourire.

— Ici, on ne rit pas et on ne pleure pas non plus ! Il n’y a pas de place pour la camaraderie, le jeu ou les lamentations. Vous êtes là pour obéir et accomplir vos tâches. Je ne veux entendre que le silence ! Il est tôt et votre journée ne fait que commencer. Enfilez les vêtements qui se trouvent sur votre lit et les bottes devant vos casiers. Déposez ce que vous portez dans la malle près de la porte d’entrée du dortoir, puis restez assis sur votre lit jusqu’à mon retour. Je vous donnerai les instructions du jour.

     Elle tourne les talons, sort de la pièce, puis traverse le grand couloir qui mène à l’opposé chez les garçons.

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     La petite Clara sanglote toujours.

— Tais-toi… lui chuchote sa voisine de droite, on va avoir des ennuis.
— Laisse-la tranquille ! ordonne Aby la seconde voisine de la petite.

     Aby fait partie du groupe des plus âgées. Elle s’approche de Clara et lui essuie les joues avec le bas de sa robe.

— Je m’appelle Aby. Ne t’en fais pas, je veillerai sur toi du mieux que je peux, la rassure-t-elle. Maintenant, habille-toi vite avant que cette vilaine revienne.

     La petite acquiesce par un «oui» de la tête et commence à enlever ses vêtements. Toutes les autres font de même en tremblant de froid.

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     Pendant ce temps, dans le dortoir des garçons règne une ambiance électrique. Un des gamins semble défier la vilaine. Il refuse catégoriquement de porter la tenue obligatoire. Âgé de douze ans et plutôt gaillard, il soutient son regard.

— Je ne veux pas mettre ça ! C’est pouilleux et moche ! s’insurge-t-il.

     Une première gifle s’abat. Le mioche serre les dents et dévisage cette horrible femme. Un revers de la main ne se fait pas attendre. Il tombe à la renverse. Courageusement, il se relève, se déshabille, et enfile nerveusement les vêtements posés sur son lit.

— Bien. Maintenant, va mettre tes vieilles loques dans la malle.

Le garçon obtempère, toujours en serrant les dents et en défiant la vilaine. Il revient près de son lit et se plante devant elle. Fier de lui, il décoche un sourire narquois. Elle lui saisit les cheveux en lui penchant la tête en arrière et s’approche de son oreille.

— Je m’occuperai de ton cas en temps voulu. Tu apprendras rapidement à obéir et à courber l’échine.

     La femme relâche alors la chevelure du gamin en lui ramenant la tête vers l’avant d’un geste sec. Elle consulte à nouveau la liste dont elle ne se sépare jamais et y note quelque chose.

— Eh bien, Billy, te voilà dans mon collimateur ! Nous nous reverrons très vite toi et moi…

     Elle distribue les consignes aux garçons puis quitte la pièce. Billy respire fort et sa colère monte. Ses dents grincent, mais il ne pipe mot. Il regarde la vilaine disparaitre. À peine est-elle sortie de son champ de vision, qu’il se précipite vers la malle pour y récupérer un objet dans la poche de son veston. Il le glisse sous son matelas.

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     De son air hautain et pincé, cette drôle de harpie donne les consignes aux autres membres du camp. Elle est âgée d’une cinquantaine d’années, grande, maigre, autoritaire et dotée d’un certain sadisme. C’est elle qui dirige cet endroit d’une main de fer. Sous ses ordres, on peut compter le chauffeur et son acolyte –tous deux pourvus d’une tête aussi vide de bons sens que pleine d’idioties–, une femme ronde désignée comme cantinière, un vieillard encore bien droit qui gère l’intendance et une adolescente nonchalante de dix-sept ans. Six personnes avec chacun sa tâche et sa place. Le camp dénombre plusieurs baraquements : les dortoirs, le réfectoire, les sanitaires –avec toilettes et douches collectives–, une grange, deux cabanons et le baraquement principal où loge cette drôle d’escouade. Mobilier et confort sommaire, endroit crasseux et bicoques au bois pourri. Plus en retrait se distingue une vieille et imposante bâtisse en pierre, à peine perceptible, au milieu des épicéas, sapins et mélèzes gigantesques. La neige ensevelit tout ce qu’elle peut, la température avoisine moins dix degrés et seuls des petits poêles à bois chauffent ces logis délabrés. La vilaine établit le programme de la journée.

     Mais quel est donc cet endroit ? D’où viennent ces enfants ? Et dans quel but ont-ils été amenés ici ?
Une chose est certaine, leur calvaire ne fait que commencer…

© Copyright 2016 Florence DAUPHIN

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À SUIVRE…