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ÉPISODE 6

Résumé de l’épisode précédent.

     Margaret comprenant que l’adolescente lui a menti, elle tente de la piéger par une question lors du repas, alourdissant ainsi l’ambiance. Monica et l’ancien s’inquiètent immédiatement de l’attitude de la Vilaine et envisagent de se rassembler près du prochain feu de camp afin d’avoir une discussion. Dans le même temps, il sont dans l’obligation de faire quelques révélations à Miranda. 

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ÉPISODES PRÉCÉDENTS / 1 Les dortoirs2 Le programme3 Désaccord4 Complicité5 Doutes

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6 – Souvenirs

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     De retour dans leur baraquement, les enfants profitent du repos qui leur est accordé. Chez les garçons, les langues se délient et la curiosité l’emporte. Certains questionnent Sacha sur son séjour dans le cabanon, quand d’autres lui demandent s’il sait quelque chose sur ce qu’il se passe dans la grange. Mais Sacha ne sait rien  et il n’a pas envie de parler. Il se sent coupable. Assis sur son lit, les genoux repliés contre sa poitrine et maintenus par ses bras qu’il serre le plus fort qu’il peut, il se balance lentement, fuyant les regards interrogateurs de ses camarades.

— Laissez-moi tranquille ! leur dit-il agacé.
— Je peux prendre le lit de Billy et rester à côté de toi ? lui demande un des garçons.

     D’un bond, Sacha saute de son lit et pousse énergiquement le gamin en signe de refus et fait barrage à tous ceux qui tentent de s’approcher de son lit et de celui de Billy. Ses yeux passent d’un enfant à un autre, ses sourcils se froncent et son visage se ferme. Il est bien déterminé à ne laisser personne prendre la place de son copain. Alors que les garçons se dispersent en se moquant de lui, il se souvient que Billy a caché quelque chose sous son matelas. Pour ne pas éveiller la curiosité des autres, il décide d’attendre la nuit pour aller fouiner…

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     Pendant ce temps, dans le dortoir des filles, les conversations vont bon train. Celles-ci se sont réunies dans un coin du baraquement où se trouve le poêle à bois. Intriguées par ce souvenir commun, elles continuent à partager les images qui leur reviennent en mémoire.

— Il y avait une grande fête, dit Aby. Les enfants jouaient, riaient, et les adultes préparaient toutes sortes de choses à manger. Et je me souviens très bien des crêpes.
— Oui, c’était des crêpes, acquiesce Gladys.
— Oui, moi aussi je m’en souviens ! lance une autre.

     Une des filles, restée silencieuse et en retrait du groupe, s’avance.

— C’est pas des crêpes !
— Ah si ! Je m’en souviens très bien ! insiste Aby, reprise en chœur par les autres.
— Non, ça s’appelle des blinis. Bon, d’accord, c’est un peu la même chose. Et la fête dont vous parlez, c’est la Maslenitsa.
— La quoi ? demande Gladys les yeux ronds.
— La Maslenitsa ! C’est la fête qui célèbre la fin de l’hiver.
— La fin de l’hiver ? Tu rigoles ! T’as vu comme il fait froid ! intervient Aby.
— Vous n’êtes pas d’ici vous toutes hein ?
— On ne sait même pas où on est ni ce qu’on fait ici, alors… soupir Aby.
— On est en Russie pardi ! claironne la jeune fille.
— En Russie ? Mais c’est où la Russie ? T’es d’ici toi ? bombarde Gladys.
— Oui, je suis russe. Je m’appelle Svetlana et j’ai 13 ans.
— Mais si t’es russe et pas nous, pourquoi on parle pareil ? demande maladroitement Gladys.
— J’en sais rien moi ! On était toutes à cette fête, je me rappelle. C’est comme ça qu’on célèbre la fin de l’hiver en Russie. On mange, on danse et on fait des jeux. On fait aussi des balades en traineau et des maisons de neige. Il y a aussi des skomorokhi avec leur gousli, et des Petrushka. 
— C’est quoi tous ces trucs ? demande Gladys.
— Les skomorokhi, c’est des clowns avec une harpe qu’on appelle le gousli, dit Svetlana. Et les Petrushka, c’est des marionnettes.
— Oui ! C’est bien ça qu’on a vu, dit Aby. Et l’épouvantail ? Pourquoi ils l’ont brûlé ? 
— Ils disent que c’est la figure de l’hiver. Il est en paille. Il est brûlé pour dire « au revoir » à l’hiver et espérer une bonne récolte.
Waho… tu en sais des choses ! s’exclame Gladys.
— C’est normal, j’ai toujours fêté la Maslenitsa depuis toute petite ! C’est la tradition.
— Mais alors, pourquoi t’es la seule à être d’ici ?
— Je ne sais pas… Et vous ? Vous venez d’où ?

     Les filles échangent encore un long moment sur la provenance de chacune. Fait étrange, elles disent toutes venir de France, sauf Svetlana. Quant à la petite Clara, elle ne peut absolument pas répondre à cette question ! La jeune fille russe sait désormais pourquoi elles se comprennent toutes. Elle-même apprend le français depuis le plus jeune âge. Combien de temps s’est écoulé depuis cette fête ? Si celle-ci est destinée à fêter la fin de l’hiver, pourquoi fait-il toujours aussi froid ? À quelle période de l’année sont-elles ? Les souvenirs sont encore confus comme si une partie récente de leur vie avait disparu.

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     Au baraquement des membres, on s’évite. Le trio complice se sent épié. Margaret prend des notes, enfoncée dans son fauteuil miteux. Elle gribouille sa précieuse liste et y ajoute des pages. Elle relève parfois les yeux, restant tête baissée, afin de scruter le baraquement, mais surtout ses membres. Miranda termine de tailler en pointe les bâtons nécessaires au piquage des poissons, aidée par Monica. Youri est en train de fumer dehors, encore et toujours. 

— L’ancien ferait bien de ralentir le tabac s’il ne veut pas se retrouver à court ! marmonne la Vilaine. Le prochain ravitaillement n’est prévu que dans deux jours et nous n’avons apporté que le strict nécessaire.
— T’inquiète, il gère, réplique Monica.
— En parlant de gérer, lance Margaret à sa sœur, tu vas devoir reprendre la petite Clara avec toi. Je ne vais pas tarder à me rendre aux baraquements des gosses pour la suite du programme et je ne veux pas de ralentissement.
— Cette petite ne devrait même pas être là !
— Dommage collatéral, Monica. Je n’y suis pour rien, répond calmement Margaret.
— J’en ai marre des dommages collatéraux Margaret ! Pourquoi tu continues sur cette voie ? Pourquoi ne pas prendre un nouveau départ ?
— Ha, ha ! Un nouveau départ ? Non mais tu plaisantes ? Tu oublies pour qui nous travaillons !
Nous travaillons ? À qui tu obéis plutôt, non ?
— Ferme-là, Monica. Ferme-là…

     C’est en souriant du coin des lèvres que Monica reprend son activité avec l’ado. Youri finit par lever son vieux postérieur du tas de bois sur lequel il s’installe systématiquement pour fumer. Machinalement, il part vers la réserve de bois pour provisionner le baraquement. C’est alors qu’il comprend. Il sait maintenant pourquoi Margaret se questionne. La neige immaculée lui envoie la réponse. « Merde ! » pense-t-il. 

— Miranda ! hurle-t-il depuis l’extérieur.

     L’ado et Monica s’interrompent brutalement et Margaret relève la tête, écarquillant les yeux.

— Qu’est-ce qu’il lui prend au vieux ? s’étonne la Vilaine. 
— Miranda a dû faire une bêtise, simule Monica en lançant un clin d’oeil à l’ado.
— Je ferais peut-être mieux d’aller voir, dit Miranda en posant bâton et couteau.
— Oui, fais donc ça, lui intime Margaret.

     L’adolescente abandonne tout son matériel au sol, ne perdant pas de vue Monica qui lui adresse un signe de tête positif. Elle sort immédiatement, attrapant parka et bonnet au passage. Elle claque la porte et se dirige vers Youri au trot. Margaret se lève et se poste à la fenêtre sous l’œil exaspéré de sa sœur. D’un air concentré, elle tente de déchiffrer la conversation, en vain. Youri s’agite, Miranda lève les yeux au ciel et l’atmosphère s’alourdit encore. 
     La vilaine quitte son poste d’observation et se dirige vers l’entrée où elle enfile son manteau, son bonnet et ses gants.

— L’heure est passée. Je vais aux baraquements des gamins. Rejoins-moi, ordonne-t-elle à Monica.

    Margaret s’éclipse et Monica se précipite à la fenêtre. Elle observe la scène, impatiente de voir disparaitre sa sœur de sa vue pour pouvoir sortir. Une fois le champ libre, elle se couvre rapidement et sort rejoindre la jeune fille et l’ancien.

— Bon sang, Youri ! Ça te prend souvent ?
— Il fallait bien que je trouve quelque chose pour faire sortir la môme !
— Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
— Regarde ! dit-il en hochant la tête en direction de la réserve de bois.
— Quoi ? Je ne comprends pas, répond Monica.
— Aucune trace de pas en direction de la réserve… Voilà ce qui a intrigué ta vicieuse de frangine ! 
— Aucun détail ne lui échappe à cette vipère !

     L’adolescente prend un air coupable s’excusant auprès de Monica.

— Ce n’est pas ta faute, Miranda. Aucun de nous n’a pensé à ce détail. Nous allons devoir rester sur nos gardes. Margaret ne laisse rien passer.
— Je n’aurais jamais dû te laisser aller fouiner du côté de la grange. Tout ça, c’est ma faute, ronchonne l’ancien. Ça me rappelle que je vais devoir m’y rendre ce soir pour remettre en place ces foutues planches. Ça fait beaucoup de choses à faire en douce dans la même soirée !
— On trouvera un moyen, affirme Monica. Pour le moment, je dois rejoindre Margaret aux baraquements des enfants pour récupérer la petite Clara. On avise à mon retour pendant qu’elle distribue les consignes. 
— Ça marche, répond Youri.

     Monica s’éloigne d’un pas décidé pour rejoindre sa sœur. Miranda et Youri se regardent laissant en même temps échapper un long soupir…

 

© Copyright 2016 Florence DAUPHIN

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À SUIVRE …