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ÉPISODE 4
Résumé de l’épisode précédent.
Margaret et Monica, se heurtent à un point de vue différent concernant l’attitude à adopter face aux enfants. Leur désaccord semble agacer l’ancien blasé par cette ritournelle. Cette tension entre les deux sœurs opère une sortie du silence de Miranda, l’adolescente. Sa proximité avec Monica laisse entendre une pointe de jalousie envers la petite Clara. Après une discussion dans le froid avec le vieux et à quelques minutes du retentissement de la cloche annonçant le repas, Miranda décide d’aller fouiner du côté de la grange où est toujours enfermé Billy . C’est avec la complicité de l’ancien qu’elle se rend à la grange avec pour consigne de se contenter d’observer sans entrer en contact avec les enfants. Mais celle-ci va désobéir…
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ÉPISODES PRÉCÉDENTS / 1 Les dortoirs – 2 Le programme – 3 Désaccord –
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4 – Complicité
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Margaret, emmitouflée dans son épais et long manteau, coiffée d’un bonnet tricoté noir, s’apprête à sortir du baraquement en enfilant des gants.
— Youri, dis à Miranda qu’elle me retrouve au réfectoire, ordonne-t-elle à l’ancien qui venait d’entrer. Je vais faire l’inspection des chambrées et de toutes les zones qui étaient à nettoyer. Vladimir et Gleb se chargeront d’emmener les gosses se laver les mains avant le repas. Assure-toi que les deux garçons enfermés sont toujours en vie. Avec ce froid, je ne voudrais pas qu’ils nous lâchent, nous aurions des comptes à rendre. Sacha pourra rejoindre les autres. Billy est très bien où il est. Il ne sortira que ce soir. Voici la clé du cabanon et celle de la grange. Rends-les moi dès ton retour au réfectoire.
— Bien, ce sera fait, répond Youri.
La vilaine se penche sur la lucarne de la porte d’entrée du baraquement et jette un coup d’œil à l’extérieur. Elle balaye du regard ce grand espace blanc. La neige ne tombe plus. Il n’y a personne. Seuls quelques pas dans la neige font acte de présence.
— Où est Miranda ? s’étonne soudain Margaret.
— Je l’ai envoyée chercher quelques rondins pour le feu de camp de ce soir.
— Des rondins ? Et ceux sur lesquels tu étais assis ne suffisent pas ?
— Il me faut du bois sec. Ce tas de bois est juste bon à accueillir mon vieux postérieur quand je vais fumer. Je l’ai envoyée à la réserve.
— Dans ce cas, va la chercher. Je ne veux pas qu’elle traine autour des baraquements. Le temps de faire mon inspection et je sonne la cloche pour le repas.
— J’y vais, conclut Youri en sortant.
— Monica ! Au réfectoire dans quinze minutes ! Habille la gamine ! claironne-t-elle agacée.
Sans attendre de réponse, la vilaine ouvre la porte et se dirige vers le réfectoire. Au bout de quelques mètres, elle s’arrête et scrute l’épais manteau blanc ou meurt le mégot de Youri. Des traces de pas se dessinent devant elle vers les baraquements des enfants et de la grange, aucune en direction de la réserve de bois sur la droite près de leur baraquement. C’est dubitative qu’elle reprend sa route, faute de temps.
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Miranda est sur le point d’arracher une seconde latte de bois à l’arrière de la grange offrant ainsi un espace suffisamment grand pour qu’elle s’y glisse. Faisant levier avec un tube de ferraille rouillé trouvé à terre, elle parvient à dégager la latte. Elle engage un pied dans l’ouverture puis une épaule. Alors que la seconde épaule franchit l’espace vide, une main ferme la saisit et la tire en arrière.
— Bordel Miranda qu’est-ce que tu fous ! Je t’avais dit de rester tranquille. Margaret fait sa tournée d’inspection et sonne la cloche dans quinze minutes !
— Youri ? Mais t’es dingue ! Tu m’as foutu une de ces trouilles !
— Il faut y aller !
— Mais regarde, le gamin ne bouge plus.
— Il doit sûrement dormir. Allez, bouge ! s’impatiente le vieux.
— Il faut vérifier.
— Margaret m’a justement chargé de le faire. Il doit rejoindre les baraquements ce soir. Mais toi, tu dois la rejoindre au réfectoire, elle t’attend.
Miranda hésite. Elle regarde les deux lattes de bois au sol.
— Et ça ? Un peu voyant non ?
— Tu fais chier Miranda, dit-il en soupirant. Je vais essayer de les faire tenir. Je reviendrai ce soir pour les fixer. File !
L’ado s’éclipse rapidement. Youri pose les planches en équilibre, les coince avec le tube métallique, puis fait le tour de la grange pour déverrouiller la grande porte. Il tourne la clé dans le gros cadenas et fait glisser l’énorme chaine. La porte s’ouvre dans un grincement aigu. Cet endroit est plutôt vaste et haut de plafond. La grange est remplie de foin, de vieilles planches, d’un établi sans outils et de plusieurs enclos vides. Une échelle de bois mène à une mezzanine couvrant une bonne moitié de la remise. Seuls les rayons de lumière extérieurs filtrent dans les interstices des lattes et éclairent timidement cet endroit sans fenêtre. Youri s’approche de Billy étendu au sol. Il s’agenouille et pose son oreille sur sa poitrine. Son cœur bat et il respire. Il le couvre de foin et s’empresse de sortir. Il verrouille la porte et se rend au cabanon. Il trouve Sacha prostré dans un coin de la cabane pleurant à gros bouillons.
— Viens gamin, lui dit Youri.
Sacha se lève avec difficulté, les bras en croix plaqués contre sa poitrine. Il a froid, il a très froid.
— Où est ton bonnet ?
—J’ai pas de bonnet Monsieur, répond Sacha en sanglots.
L’ancien pose un genou à terre et ses grandes mains sur les épaules du gamin en cherchant son regard.
— Je m’appelle Youri. Écoute petit, tu ne dois pas arriver au réfectoire en pleurant. Tu dois te calmer si tu ne veux pas avoir de problèmes. Tu comprends ?
Sacha lève les yeux en direction de Youri.
— Oui Monsieur.
Youri se relève et invite le gamin à sortir du cabanon. Sacha le suit tout en jetant un œil inquiet en direction de la grange. En chemin, ils entendent retentir la cloche. Il est midi. Youri presse le pas.
— On doit accélérer gamin. Et rappelle-toi : ne jamais attiser la colère de la vieille, c’est le seul moyen pour qu’elle baisse sa garde. Compris ?
— Compris, répond Sacha d’une voix à peine audible.
C’est arrivé au réfectoire que Youri devine que quelque chose ne tourne pas rond. Les membres du camp sont debout, alignés à l’intérieur près de l’entrée. Miranda est postée à la droite de la vilaine, tête baissée, visage fermé. Monica, à sa gauche, les yeux fuyants, semble déstabilisée. Gleb et Vladimir, de retour des sanitaires, placent nerveusement les enfants à table, deux grandes tables rectangulaires disposées parallèlement : une pour les filles, l’autre pour les garçons. Perpendiculairement, face aux enfants, trône la table des membres. Mobilier de bois basique et silence religieux occupent l’espace. Seul le bruit des chaises et le crépitement des bûches dans le poêle noir en fonte, à l’entrée de la pièce, sont perceptibles. Une petite porte mène à une arrière-salle exiguë faisant office de cuisine.
L’ancien s’approche de Margaret et lui tend les deux clés. Elle les attrape fermement sans quitter Youri des yeux et d’un geste sec de la tête l’invite à rejoindre les rangs sur sa gauche près de Monica que l’ancien interroge du regard au passage. Celle-ci baisse les yeux avant d’avoir furtivement regardé en direction de sa sœur. Ils forment une ligne parfaite face aux deux tables du réfectoire. Les enfants sont tous installés et Clara a rejoint la table des filles au grand bonheur d’Aby.
Au signal de la vilaine, Monica attrape un chariot à roulettes et commence à arpenter la salle. Sur ce chariot se trouve le repas du jour. Un imposant faitout en aluminium quelque peu cabossé, renferme un plat à base de lentilles et de pommes de terre baignant dans un jus peu assaisonné. Une corbeille d’osier accueille des tranches de stolitchni, miche de pain de seigle russe de grande taille et peu coûteux. Plusieurs carafes d’eau en verre sont regroupées. Armée d’une louche, elle commence le service en déversant la nourriture dans les assiettes creuses disposées sur les tables par Miranda avant l’arrivée des enfants. Elle distribue à chacun une seule tranche de pain et leur sert un verre d’eau. Une fois le service terminé, y compris à la table des membres, Monica traine le chariot d’une main jusqu’à la cuisine et réapparait. Elle reprend sa place aux côtés de Youri. Margaret s’adresse aux gamins.
— Vous avez une heure pour manger dans le silence. Vous ne quitterez la table que lorsque vous y serez invités. Vous rejoindrez Gleb et Vladimir dehors en fin de repas pour qu’ils vous raccompagnent dans vos chambres. Vous disposerez d’une heure de repos avec interdiction formelle de sortir du baraquement. Je viendrai vous donner la suite du programme en début d’après-midi. Maintenant, vous pouvez manger.
Elle se dirige vers la table centrale suivie des autres membres du camp. Alors que tout le monde s’installe, elle ajuste sa serviette sur ses genoux et débite à leur intention, sans les regarder :
— Il n’est point de fautes qui ne soient démasquées, référées et sanctionnées. Il serait plus que judicieux de suivre la bonne route si l’on ne veut pas avoir d’accident… Mangeons.
En une fraction de seconde, trois regards se succèdent. Celui de Youri, Miranda et Monica. Des yeux se croisant, mêlant doutes, incompréhension et inquiétude…
Une réunion clandestine urgente s’impose…
© Copyright 2016 Florence DAUPHIN
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