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ÉPISODE 3

Résumé de l’épisode précédent.

     La petite Clara bénéficie d’un traitement différent des autres filles et apprécie un moment passé près du feu avec Monica la cantinière. Margaret, surnommée « la vilaine » par les enfants, a réparti les taches et envoyé chaque groupe dans les baraquements à nettoyer. Billy et Sacha goûtent aux représailles après avoir semé le trouble et sont respectivement enfermés dans la grange et un cabanon au bois pourri à moins dix degrés…

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ÉPISODES PRÉCÉDENTS / 1 Les dortoirs2 Le programme – 

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3 – Désaccord

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 Après avoir jeté les deux garçons dans leurs geôles, Margaret revient au baraquement des membres laissant les autres enfants terminer leur tâches sous les yeux attentifs, ou presque, de Vladimir. Aux sanitaires, les visages grimaçants sont nombreux et les sanglots à l’unisson. Les gamines sont prises de haut-le-cœur et peinent à effectuer le nettoyage. Vladimir oscille entre les deux groupes et veille à ce qu’il n’y ait aucun manquement

     Dans le dortoir, le reste des filles s’affaire activement. Balai, éponge, seau, elles ont reçu tout l’équipement nécessaire pour faire de cet endroit un lieu acceptable. Aby semble soucieuse et attire le regard de sa voisine.

— Je m’appelle Gladys, lui lance cette dernière.
— Moi, c’est Aby.
— Oui je sais. Je t’ai entendu parlé à Clara tout à l’heure.
— Pauvre petite…
— Tu ne devrais pas t’occuper d’elle. Tu vas avoir des ennuis !
— Si tu crois que je vais laisser cette horrible bonne femme en faire ce qu’elle en veut !
— C’est très gentil de ta part, mais fais attention…
— T’as quel âge Gladys ?
— J’ai douze ans. Je ne veux pas me faire remarquer. Je ne sais même pas ce qu’on fait ici et j’ai la trouille, alors m’occuper des petits, j’ai pas envie !
— Moi aussi, j’ai douze ans et les grands devraient protéger les plus jeunes. J’aurais aimé qu’on me protège quand j’étais petite… murmura Aby.
— Tu te souviens de quelque chose avant ton arrivée ici ? questionna Gladys.
— Je me rappelle d’une fête. On mangeait des crêpes et on regardait danser des gens habillés avec des robes multicolores.  On construisait des maisons de neige.
— Moi aussi, je m’en souviens ! Il y avait des clowns et on brûlait un épouvantail !

Les autres filles se rapprochent à l’entente du récit d’Aby et Gladys et forment immédiatement  un groupe de discussion. Toutes partagent ce souvenir d’une fête avec des crêpes. Dernières images avant le trou noir et leur débarquement du camion.

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Dans le dortoir des garçons, le silence règne. L’échantillon de despotisme de la vilaine diffusé dans les locaux à travers Billy, n’a laissé aucune place aux piaillements. Seul le bruissement des chiffons s’envole dans l’atmosphère. Le visage fermé, la bouche plissée, les enfants semblent plongés dans le mutisme. Gleb, trônant au milieu du couloir, est soudainement attiré par des gloussements chez les pipelettes. C’est en grognant qu’il se décolle du mur et d’un pas lourd qu’il se dirige vers leur chambrée. Il s’arrête dans l’embrasure de la porte.

— Qu’est-ce qu’il se passe ici ? dit-il mollement.

Dans un sursaut, les filles se dispersent et reprennent leurs corvées, mais Aby reste plantée devant son lit, songeuse.

— Hey, gamine ! Mets-toi au boulot ! Si la vieille se pointe, ça risque de barder ! lui intime Gleb à voix basse en jetant des coups d’oeil derrière lui.

La fillette, tirée de sa rêverie, interprète l’intervention de Gleb comme un conseil qu’il vaut mieux suivre. Elle s’exécute. Ses camarades fixent cet homme bedonnant et nonchalant qui derrière ses apparences de rustre montre de la sympathie en alertant Aby sur un possible retour de bâton.

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Au baraquement des membres du camp flotte un vent de mésentente.

— Monica ! Arrête  ton cinéma avec cette gamine ! Tu sais comme moi qu’on ne se lie pas aux enfants, lance la vilaine.

À ces mots, l’adolescente n’exprimant que de l’indifférence depuis l’arrivée de Clara, tourne la tête en direction de Margaret, puis de Monica. Assise sur un petit tabouret, affairée à tailler un bâton pour on ne sait quelle raison, elle semble subitement concernée par cet échange.

— Garde tes conseils Margaret ! Je connais les règles aussi bien que toi. Je ne me lie à personne. Je détends l’atmosphère et j’offre un moment agréable, c’est tout.
— Le genre de moment créant pour cette mioche une ambiance rassurante et lui suggère qu’elle peut compter sur quelqu’un. Tu lui donnes de faux espoirs. Ça ne fait pas partie de notre boulot. Ces gamins nous sont utiles, rien de plus.
— Clara ne me semble pas « utile » dans le cas présent. Ne me cherche pas, tu veux.
— Toi, tu as regardé la liste avant leur arrivée pour connaître son prénom. Comme je te l’ai déjà dit, chacun se cantonne au rôle qu’on lui a attribué. Reprends-toi, sœurette, nous avons des comptes à rendre. Ne m’oblige pas à en référer plus haut, ça pourrait te coûter cher…

Alors que Monica, quitte sa soeur du regard, elle croise celui de l’adolescente. Celle-ci lui adresse un sourire timide tandis que la cantinière lui lance un clin d’oeil. Le vieux, n’ayant pas perdu une miette de cette scène depuis le début, hoche la tête de désespoir et sort du baraquement en soupirant.
Monica est une personne avenante, aux jolies rondeurs. Ses cheveux blonds, coupés aux épaules, plats sur le dessus du crâne et bouclés sur leur longueur, laissent apparaître un visage rond et jovial. Elle est assignée à la cuisine et tout ce qu’y s’y rapporte. C’est une femme malléable pourvu qu’on ne lui cherche pas d’histoires.

Le baraquement des membres, doté d’un énorme poêle en son centre, est beaucoup mieux isolé que celui des enfants. Il comporte deux pièces : une grande salle principale avec quatre fenêtres — meublée avec deux lits d’une place d’un côté et deux lits d’une place de l’autre —, une table à manger rectangulaire et ses quatre chaises non loin du feu, un fauteuil miteux sur lequel est assise la vilaine, un petit tabouret de bois occupé par l’ado, un canapé de tissu gris n’étant pas de toute première fraîcheur, et une salle d’eau équipée d’un lavabo, d’une douche et de toilettes. Un groupe électrogène est installé dans une remise jouxtant leur baraquement et alimente le camp en électricité. Juste ce qu’il faut pour les quelques ampoules pendant tristement au plafond de chaque baraque. Dans cette même remise se trouve le garde-manger. La porte de ce sanctuaire est verrouillée par un solide cadenas et une grosse chaîne. Un énorme château d’eau sur pilotis, sur une colline, à quelques mètres, distribue le précieux liquide nécessaire et bénéficie d’un groupe électrogène individuel. Une hélice plongée dans la cuve et actionnée par un moteur maintient l’agitation de l’eau afin qu’elle ne gèle pas. La structure métallique est vieille et rouillée, rongée par le froid. Une grande échelle permet d’accéder à une plateforme encerclant l’énorme cylindre qui contient l’eau. Une sorte de guirlande d’ampoules entoure la ballustrade de la plateforme. Tout dans ce camp est vétuste.

L’adolescente se lève et se dirige vers la table où sont installées Monica et la petite Clara.

— Tiens Mouniette, dit-elle affectueusement à la cantinière en lui tendant le bâton taillé.
— Merci Miranda. Encore quelques-uns et ça suffira à embrocher la viande et les poissons.
— Qui allume le feu de camp ce soir ? demande Miranda.
— L’ancien, comme d’habitude.
— Tu crois qu’il voudra de mon aide ? Je m’emmerde ! Comme toujours…
— Surveille ton langage devant la petite s’il te plait, lui demande gentiment Monica .
— Et lequel d’entre vous surveillait le sien quand j’étais gosse dans ce foutu camp, hein ?
— Je sais Miranda, je sais…
— Et qu’est-ce qu’elle fout là celle-là d’ailleurs !? dit-elle dans un hochement de tête vers Clara.
— Sois gentille, ne complique pas les choses. Va voir l’ancien dehors.

Miranda est une adolescente spontanée au gabarit musclé, de taille moyenne, doté d’une forte personnalité. Chacun de ses silences est une invitation à s’y conformer. Peu bavarde, elle devient vite incontrôlable quand elle commence à s’exprimer. Mais que peut bien faire une ado dans cet endroit ?

L’air dépité, elle tourne les talons, enfile manteau, bonnet et gants, et rejoint le vieux. Elle le trouve posé sur un tas de bois, tête baissée, fumant une roulée et ne semblant pas souffrir du froid. Elle s’assoit près de lui et lui donne un coup d’épaule taquin. L’ancien relève la tête en regardant droit devant, crache lentement la fumée de sa cigarette, puis se tourne vers l’ado et la regarde. Après un court instant suspendu, il lui rend son coup d’épaule.

— Tu veux quoi toi, hein ? lui demande-t-il d’un air suspicieux un rictus au coin des lèvres.
— Je peux allumer le feu ce avec toi ce soir ?
— Pourquoi pas…
— Vraiment ?
— Oui, vraiment. Mais ne me pose pas la question une seconde fois, ou je change d’avis !

On pouvait voir le visage de Miranda s’illuminer et le vieux sourire avec pudeur.

— Maintenant, il serait temps de s’occuper du repas de midi pour cette armée de gamins ! ajoute l’ancien. Monica doit se reprendre, sans quoi, on va encore déguster.
— Tout est déjà prêt. On attend que Margaret sonne la cloche.
— Dans ce cas, rentre vite avant qu’elle décolle son cul de son fauteuil dégueulasse !
— À dire vrai, je comptais aller voir ce qu’il se passe du côté de la grange…

Miranda triture le bonnet rose flashy qu’elle vient d’enlever découvrant ses cheveux noirs coupés court. Elle enclenche le charme de ses yeux verts espérant la réponse adéquate.

L’ancien soupire longuement.

— T’es la reine des embrouilles toi… comme Monica. Un truc à ne pas faire et vous le faites ! Vous avez le don de vous mettre dans des situations à la con.

Après un bref moment de réflexion, il ajoute :

— Bon… d’accord… je te couvre. Si Margaret débarque, je lui dirais que je t’ai envoyée chercher quelques rondins pour le feu de ce soir. Mais, je te préviens, pas de contact avec les gosses, juste de l’observation, compris ?
— Compris chef ! acquiesce Miranda de façon militaire par un salut rapide.

Le vieux la regarde partir en direction de la grange où est enfermé Billy. Cet homme de soixante-dix ans, grand et mince, le visage creusé, d’apparence effacée, cache quelques sentiments protecteurs sous sa barbe grisonnante. Si sa bonhomie le rend attendrissant, il peut se révéler intransigeant. Pourtant, frustrer Miranda est pour lui un exercice difficile. C’est en réajustant son bonnet de marin et tirant une dernière bouffée de sa roulée qu’il se lève et part rejoindre son baraquement. En chemin, il expédie son mégot d’une pichenette dans la neige.

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L’ado passe discrètement devant le cabanon où est enfermé Sacha. Elle l’entend renifler, mais ne s’arrête pas. Ce qui l’intéresse, c’est la grange. Arrivée devant la porte cadenassée et maintenue par une grosse chaîne, elle contourne l’édifice et se poste à l’arrière où elle trouve un espace suffisant entre deux lattes de bois afin d’observer l’intérieur. Depuis ce matin, Billy est enfermé et plus aucun cri ne se fait entendre. Elle ne distingue pas grand chose et commence à s’énerver. Elle remet son bonnet et réajuste plusieurs fois sa position pour faire coïncider son oeil à l’interstice donnant dans la remise. Après quelques contorsions, soupirs et grognements, elle aperçoit une main. Elle constate que Billy est étendu au sol, inanimé.

— Merde ! Mais qu’est-ce qu’il se passe là-dedans !?

La curiosité de Miranda la pousse à l’interdit. Elle décide de trouver un moyen d’entrer à quelques minutes seulement du son de cloche annonçant le moment du repas collectif de midi…

© Copyright 2016 Florence DAUPHIN

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A SUIVRE …