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ÉPISODE 7

Résumé de l’épisode précédent.

     Youri comprend les interrogations de la Vilaine après avoir constaté qu’aucune trace de pas n’était présente dans la neige en direction de la réserve de bois. Margaret se rend au dortoir des filles afin d’exécuter la suite du programme. Celles-ci échangent sur cette mystérieuse fête russe à laquelle elles se trouvaient toutes, dernier souvenir avant leur arrivée dans cet endroit. Monica rejoint Margaret pour prendre en charge la petite Clara. Billy, quant à lui, est toujours enfermé dans la grange, inanimé sur le sol, recouvert de foin par l’ancien pour qu’il ne prenne pas froid.

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ÉPISODES PRÉCÉDENTS / 1 Les dortoirs2 Le programme3 Désaccord4 Complicité5 Doutes6 Souvenirs

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7 – Départ pour la mine

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     C’est tendue que Margaret se présente au baraquement des enfants, sa précieuse liste sous le bras. Elle franchit la porte d’entrée, passe le petit dégagement, puis s’arrête à l’intersection du couloir. Au fond à gauche de celui-ci se trouve Gleb somnolent, adossé au mur comme à son habitude, assigné à la surveillance de la chambre des filles. Au fond à droite, elle aperçoit Vladimir qui sort du dortoir des garçons. Elle se dirige vers lui d’un pas décidé. Une fois à sa hauteur, elle ne peut réprimer son dégout.

— Bon sang, Vladimir ! Se laver n’est pas une option ! Passage aux sanitaires obligatoire pour Gleb et toi ce soir ! Pour le moment, vous deux, allez chercher le camion pour le ramener au plus près et faites monter les gosses. Nous partons à la mine.
— OK patronne, répond-il l’air piqué en se dirigeant vers la sortie. Gleb ! On s’en va !

     Le gros bonhomme abandonne sa torpeur et s’arrache du mur dans un grognement. Il longe le couloir et retrouve son acolyte qui arrive à l’intersection. Il attend une information quelconque ou une directive, mais Vladimir quitte le baraquement sans s’arrêter. Gleb lui emboite le pas. C’est à l’extérieur que Vladimir évacue sa vexation en traversant le campement pour rejoindre le véhicule. Son accent russe est à son maximum.

— Cette bonne femme se prend pour qui, bordel ! Je me demande pourquoi le boss nous a collé une gonzesse ! Une vieille, en plus ! Madame est bourrée de manières, mais trempe dans les mêmes sales histoires que nous. C’est pas un palace ici ! Cette femme est un peu trop précieuse pour participer à ce genre d’opération. On dirait la directrice d’un pensionnat de gamines de riches !
— Et qu’est-ce qu’elle t’a balancé pour te mettre en rogne ? 
— En gros, qu’on pue Gleb, qu’on pue ! Entre la route, la réparation du camion et les mioches, qu’est-ce qu’elle croit ? Qu’on s’est payé le luxe de tremper dans un bain ?! 
— Laisse tomber, elle passe sa vie à chercher la petite bête. On se contente de faire notre boulot, de prendre le fric, et c’est tout.
— Ouais… on va faire ça. Allez, monte.

     Gleb s’installe dans le camion avec Vladimir. Ce dernier effectue une marche arrière afin de se replacer dans la bonne direction et s’approche lentement des baraquements. Il redescendent ensuite se poster à l’arrière du véhicule.
     Margaret attend déjà dehors avec les enfants qui grelottent. Les filles comme les garçons arborent de nouveau le masque du mal-être, dépités d’avoir été interrompus dans leurs échanges et ne sachant pas où on les conduit. Aby souffre de façon intestinale à l’entente des pleurs de la petite Clara contrainte de quitter le groupe une nouvelle fois. Sacha est distrait et n’a d’yeux que pour la grange qu’il aperçoit au loin. Il se sent soudainement tiré vers l’avant. La Vilaine l’a saisi par le bras et le force à rejoindre les rangs.

— Avance, toi ! aboie-t-elle.

     Sacha se laisse trainer jusqu’à l’arrière du camion où ses camarades sont placés. C’est un par un que Gleb et Vladimir les font monter dans cet engin militaire, un camion-bâche d’un autre âge, récupéré on ne sait où. Les deux compères referment la bâche et l’attachent solidement. 

— Je vous suis, informe Margaret en se dirigeant vers sa voiture.

    La Vilaine prend place au volant d’une vielle Lada Niva, 4×4, grise, et tourne la clé. Le tacot ne démarre pas. Elle tente à nouveau. Rien. La fin de l’hiver a poussé le groupe à ne plus laisser les moteurs allumés en permanence comme il est d’usage de le faire dans la région. L’utilisation de couvertures pour les protéger a aussi été occultée. Margaret soupire. Elle descend du véhicule, traverse le camp pour se rendre au baraquement des membres et déloger l’ancien pour qu’il jette un œil au problème. À son arrivée, le vieux est affairé à rentrer du bois. Monica, Miranda et la petite Clara sont à l’intérieur.

— Youri, j’ai besoin de toi. La voiture ne démarre pas. Je vais devoir partir en camion avec les autres pour ne pas prendre de retard. Il faut impérativement réparer ça dans l’après-midi. Il est plus de 15 h et tu vas devoir te rendre en ville si une pièce a lâché. Tu connais la liste des endroits où l’on doit faire des achats. Tu mets tout sur le compte de qui tu sais et tu demandes un reçu. Compris ?
— Je crois que oui…
— Tu crois que oui ? Mais tu te moques de moi, ma parole !
— Ça va, du calme. Mais pitié, arrête avec tes recommandations sauf si elles sont inédites ! Je sais déjà tout ça ! 

     La Vilaine tourne brusquement les talons et prend la direction du camion, soufflant son dédain. Les deux acolytes, qui ont repris place à l’avant, la regardent se rapprocher. Soudain, ils pivotent l’un vers l’autre avec les mêmes yeux interrogateurs.

— Ah non ! crie Vladimir
— Je crois bien que si, mon gars, répond Gleb en se décomposant.
— On va se la farcir ! Manquait plus que ça…
— Mais… mais qu’est-ce qu’elle fait ? s’étonne Gleb la voyant partir vers l’arrière.

     Vladimir saute du camion.

— Vous faites quoi là ?
— Je monte avec les mioches. Ce n’est pas de gaité de cœur, mais vos odeurs corporelles ne m’incitent pas à prendre place à l’avant. Je ferai sans, merci.
— Putain, mais c’est quoi votre problème !
— Ça suffit ! Baisse d’un ton et soit poli ! Et aide-moi à me hisser, c’est beaucoup trop haut !
— Vous savez quoi ? Démerdez-vous !

     Une large bouche s’ouvre sur le visage de la Vilaine figée par cet outrage. Vladimir reprend sa place au volant en claquant rageusement la porte. Gleb redoutant de subir l’humeur chahutée de Margaret pour le restant de la journée s’élance prestement d’un bond pour l’assister. Le despote installé, Vlad démarre. Aucun des enfants n’a laissé échapper un soupir, un pleur ou un mot. Leur silence est aussi glacial que les températures. 

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     Youri se précipite au baraquement dès la disparition du camion.

— Quelle aubaine ! Nous voilà tranquilles pour le reste de l’après-midi.
— Mouais… c’est curieux, soupçonne Monica.
— Ouais, bizarre… enchérit l’ado.
— Qu’est-ce que vous avez toutes les deux ? Vous vouliez une occasion, oui ou non ?
— Elle nous laisse tous les trois, alors qu’au déjeuner, elle était au top de sa méfiance. 
— Elle n’a pas trop le choix, c’est tout. Rien d’étrange là-dedans !
— Elle aurait pu rester et t’envoyer avec eux, dit Monica au vieux.
— Non, tu sais bien qu’elle respecte à la lettre la fonction de chacun. Elle va devoir donner les consignes une fois à la mine et remplir sa liste au fur et à mesure. Elle ne laisserait personne faire ça à sa place.
— Oui, tu as raison.
— Je vais m’occuper de la voiture. Si j’ai besoin d’aller en ville, je vous préviens. J’espère qu’il me restera assez de temps pour réparer la grange, ça m’éviterait d’avoir à le faire ce soir quand tout le monde sera revenu. Et il faut qu’on discute.

     Sa phrase à peine terminée, Youri repart accomplir sa mission du jour.

     Dans le baraquement, la chaleur du poêle s’accumule difficilement. Clara s’est endormie sur le vieux canapé, recroquevillée sous une couverture. Monica s’est assise sur une chaise et l’observe étrangement.

— Mouniette ? Ça va ? s’inquiète Miranda.

     Monica ne répond pas. Monica ne l’entend pas.

— Monica !

     Elle semble lointaine, en dérive. Très lentement, elle quitte la petite du regard. Celui-ci glisse vers Miranda puis s’arrête. Elle fixe l’adolescente installée sur son petit tabouret et qui fronce les sourcils d’incompréhension. Un clignement des yeux ramène Monica à une vaporeuse réalité.

— Toi aussi tu es un dommage collatéral, ma grande, prononce-t-elle mécaniquement.
— Pardon ? T’es sûre que tout va bien ? 

C’est d’une voix hypnotique qu’elle répond.

— Tu es arrivée ici de la même manière que tous ces gamins… et j’ai pris soin de toi… comme Clara. Tu es aussi un dommage collatéral Miranda… un dommage collatéral…

© Copyright 2021 Florence DAUPHIN

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À SUIVRE…