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ÉPISODE 2
Résumé de l’épisode précédent.
Un groupe d’enfants vient d’être débarqué dans un camp de vielles baraques au beau milieu d’une forêt Sibérienne.
Ils ne savent pas comment ils sont arrivés ici ni pourquoi. Il fait très froid, ils sont peu vêtus et mal logés. Le camp est dirigé par une femme autoritaire et revêche qui distribue les tâches aux garçons et filles parqués dans des dortoirs séparés. Le maitre mot : obéissance. Chaque tentative de communication et chaque refus d’obtempérer se solde par une punition. Pour épauler cette femme austère, le camp compte plusieurs membres : un chauffeur et son acolyte, un vieillard, une cantinière et une adolescente de dix-sept ans, tous avec une tâche bien définie. Du côté des garçons Billy fait de la résistance. Du côté des filles, Aby a pris la petite Clara sous son aile. Mais quel est cet endroit et qui sont ces enfants ?
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ÉPISODES PRÉCÉDENTS / 1 Les dortoirs
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2-Le programme
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Le jeune Billy est assis en tailleur sur son lit. Des chuchotements se font entendre dans le dortoir. Il observe et tente d’écouter. Son voisin, Sacha, âgé de dix ans, lui murmure :
— Dis, c’est quoi que t’as caché sous ton matelas ?
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?
— C’est un secret ? questionne le garçon les yeux écarquillés.
— C’est pas tes affaires, c’est tout ! Et t’as pas intérêt à venir fouiner sinon je te casse la figure, t’as compris ?
— T’es méchant Billy…
Sacha baisse la tête et fait la moue, puis se recroqueville sous sa couverture. Billy le regarde avec dédain. Ils sont tous habillés de façon identique: un pantalon en velours côtelé marron, un maillot de corps blanc sous un pull gris à grosses mailles serrées et un manteau à col officier, marron lui aussi, en toile épaisse, boutonné du haut jusqu’en bas et s’arrêtant aux genoux. De hautes et larges bottes à lacets, dans lesquelles est enfoncé le pantalon, terminent cette tenue imposée, tout juste suffisante pour tenir chaud. Chaque casier contient un bonnet et des gants. La plupart des enfants sont blottis sous la couverture trouvée sur leur lit. Ils n’ont rien d’autre, ni oreiller ni draps. Ils dorment à même le matelas, sale et crasseux et sans doute plein de bestioles. Le dortoir est plutôt spacieux, mais vide de tout mobilier superflu. L’ancienneté des baraquements transforme les lieux en nid à courant d’air. L’isolation est inexistante.
Voilà que la vilaine fait son apparition ! Billy se crispe en moins d’une seconde. Elle lui lance un regard terrifiant avant d’entamer le programme :
— Vous devez m’appeler Mademoiselle Morgon, me vouvoyer et être respectueux. Tout manquement à une bonne conduite sera immédiatement sanctionné. Il en sera de même pour ceux qui n’auront pas terminé leurs tâches dans les temps. Aujourd’hui, je vous divise en deux groupes. Vous êtes douze. Six d’entre vous seront assignés au nettoyage complet du dortoir. Les six autres seront emmenés au réfectoire afin de le décrasser.
Elle sépare les garçons. Billy et Sacha sont affectés au réfectoire. Ils vont enfin sortir de leur chambre. La vilaine leur demande de la suivre dans le silence. Billy observe cette femme aux cheveux grisonnants, relevés en un chignon mal attaché. Elle porte une robe longue en toile épaisse sous un manteau de même matière et de même longueur, cintré à la taille. Il ne parvient pas à distinguer ses chaussures. Sa démarche est solennelle et elle se tient toujours très droite. Elle ne laisse paraître aucune bonté d’âme.
Arrivée dans cette grande cantine, elle leur explique comment procéder afin d’être efficace. C’est le chauffeur du camion, Vladimir plus couramment appelé Vlad, qui est chargé de les surveiller. Son acolyte, Gleb, est dans le couloir du baraquement entre les deux dortoirs et veille au grain. Depuis sa position, en plein centre de ce long corridor, il a ainsi une vue sur chaque chambrée, à droite, celle des filles, à gauche, celle des garçons et face à lui, un vestibule menant à la sortie. Une fois les ordres donnés aux gamins, la vilaine se rend dans le dortoir des filles. Elle reprend le même discours et les divise en deux groupes de six. Mais il en demeure une treizième : la petite Clara.
— Toi, tu resteras avec moi. Vous autres, nettoyez votre chambre du sol au plafond et celles du second troupeau, suivez-moi.
Clara implore Aby du regard pour qu’elle lui vienne en aide.
— Excusez-moi, Mademoiselle Morgon… s’aventure Abby.
— Un problème ?
— Euh… non, Mademoiselle. Je me demandais juste ce qu’allait faire Clara ?
— Sale fouineuse ! Les questions, c’est moi qui les pose ! Mets-toi au travail et boucle là !
Aby, assignée au nettoyage de la chambre, regarde sa protégée d’un air désolé, puis la vilaine part accompagnée du second groupe et de la petite.
Il est évident qu’ici, on se tait, on obéit, et c’est tout. Aby s’interroge sur les intentions de cette mégère envers Clara. Elle est si jeune…
Les six autres filles entrent aux sanitaires. Leur mission du jour : récurer sous la surveillance de Vladimir contraint de faire des va-et-vient entre le réfectoire et la salle des douches. Les pauvres gamines se jettent des regards pleins de dégoût à la vue de cet endroit puant.
— Allez ! Au travail ! lance la vilaine
Puis elle s’éloigne avec Clara. Elle rejoint le baraquement des membres du camp où se trouvent la cantinière, le vieux et l’adolescente. Malgré le délabrement, le lieu semble plus accueillant que les dortoirs. À leur arrivée, l’ado exprime une indifférence totale envers la fillette. L’ancien la salue d’un signe de la tête. La cantinière s’écrie :
— Oh, mais cette petite doit être frigorifiée ! Viens près du poêle, mon enfant.
— Monica, ne recommence pas !
— Margaret, tu l’as amenée ici, il faut bien s’en occuper, sinon il te suffisait de la laisser avec les autres.
Contrariée, Margaret surnommée «la vilaine» part s’asseoir sur un vieux fauteuil miteux avec sa précieuse liste. Clara esquisse un sourire timide à Monica. Cette dernière l’installe à une table près du feu et lui pose une couverture sur les épaules. Elle lui apporte un verre de lait. Margaret regarde la scène du coin de l’œil avec agacement.
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Pendant ce temps, les garçons s’affairent dans le réfectoire. Tout doit être nettoyé, jusqu’aux pieds des chaises en passant par les surfaces, les sols, les plateaux. Rien ne manque pour alourdir leur travail. Sacha scrute Billy. Ce dernier étudie les lieux et les faits et gestes du chauffeur.
— Billy, qu’est-ce que tu fais ? murmure Sacha en s’approchant de lui.
— Pousse-toi de là !
— Tu cherches à t’enfuir ?
— Tais-toi, je te dis ! on va se faire remarquer, s’inquiète le garçon.
— Mais j’ai envie de t’aider. Moi aussi je veux partir d’ici.
— Dis pas n’importe quoi ! Remets-toi au travail et je t’expliquerai quand on sera rentrés au dortoir.
— Bon, d’accord…
Billy reprend son observation approfondie des lieux et détaille les habitudes du chauffeur, assis sur une chaise et très occupé à se fouiller le nez. Tout en effectuant des ronds avec son balai, Billy s’éloigne peu à peu en direction de la sortie, sous les yeux soucieux de Sacha, qui décide de créer une diversion. Il renverse volontairement son seau. Le mélange d’eau et de savon se répand sous les pieds de Vladimir. Celui-ci se lève en hurlant. La chaise bascule et claque au sol.
— Espèce de petit con, tu ne peux pas faire attention !
— Pardon, monsieur, j’ai trébuché, invente Sacha.
— Éponge ça tout de suite, crétin !
Sacha marmonne du bout des lèvres : «C’est toi le crétin avec ton bonnet de travers !»
— Qu’est-ce que t’as dit ? crie Vladimir.
— Rien, monsieur…
— Menteur ! Vaurien ! J’ai très bien entendu !
À ces mots, Sacha se fige, les doigts crispés sur son balai-brosse, laissant toute l’eau se répandre. Vladimir se précipite sur lui pour le corriger. Billy est sur le point de sortir, mais il ne peut abandonner le pauvre gamin aux mains de ce grand bonhomme. Il s’élance vers lui et d’un saut s’agrippe à son dos. Il passe ses bras autour de son cou et serre le plus fort possible. Mais lutter contre ce géant à la masse musculaire compacte est trop difficile pour un gringalet de douze ans… il est projeté au sol. Vladimir se retourne et l’empoigne.
— Non ! non ! crie Sacha, laissez-le ! Laissez-le !
Il hurle, pleure, tentant de dissuader le molosse. Le baraquement où se trouve la vilaine, situé juste en face, est alerté. En quelques secondes, elle surgit dans le réfectoire. Ce qu’elle voit la rend folle de rage. Elle attrape Sacha et le traîne dehors jusqu’à un cabanon vide, en retrait, minuscule, pourri et sans fenêtre. Elle le jette à l’intérieur et referme à double tour. Elle retourne dans la salle et se plante à l’entrée en balayant les lieux du regard. Les autres gamins effarés sont statufiés.
— Au travail ! ordonne-t-elle. Vous constaterez bientôt ce qui arrive aux semeurs de trouble et aux rebelles.
Elle saisit Billy par le bras et l’emmène dans la grange à quelques mètres de la bicoque où est enfermé Sacha.
— Toi, je te réserve un traitement de faveur. Je vais faire de toi un bon petit toutou, tu verras… dit la vilaine en le poussant dans la remise, tout en verrouillant le cadenas qui maintient la chaîne sur la porte.
Tout le reste de la matinée, des cris stridents s’échapperont du bâtiment, glaçant le sang des garçons et de Sacha, bouclé dans ce cabanon, à moins dix degrés…
Mais que se passe-t-il derrière cette porte ?
© Copyright 2016 Florence DAUPHIN
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