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ÉPISODE 6/14

Résumé de l’épisode précédent

Anna apprend que Carl, son amant, n’est autre que le mari d’Éléonore devenue son amie. Alors qu’Anna révèle à Carl la raison pour laquelle elle connait sa femme, il reçoit un appel de l’hôpital le prévenant de l’admission d’Éléonore après un accident de voiture. Il part laissant Anna catastrophée. Elle trouve du réconfort auprès de Stan qui la rejoint chez elle. Éva, prévenue de l’accident, quitte son lieu de travail pour rejoindre Stan qu’elle pense trouver à son bureau…


ÉPISODES PRÉCÉDENTS / 1 Le temps des doutes2 La surprise3 L’angoisse4 Le choc5 La confrontation


6-L’oubli

Éva poussa la porte de l’établissement financier dans lequel travaillait son bien-aimé. Stan, trader hors pair, évoluait dans le monde du capitalisme avec une aisance qui le rendait un peu prétentieux. La dent acérée, c’était un requin redoutable. À cinquante-cinq ans, il possédait l’expérience que les débutants lui enviaient. Son âge était, entre autres, une des raisons pour lesquelles Carl voyait d’un mauvais œil sa relation avec Éva, sans parler de son admiration exacerbée pour Éléonore. Le stéréotype parfait : cinquantaine passée, requin de la finance, riche et amateur de jeunes et jolies femmes, c’était suffisant pour que Carl n’eût jamais pris la peine de mieux le connaître.
Éva se présenta à l’accueil. L’hôtesse l’invita à patienter quelques secondes le temps de vérifier s’il était bien revenu.

— Comment ça, revenu ? s’étonna-t-elle.
— Monsieur Richard s’est absenté il y a environ une heure. Je vais tenter de le joindre sur sa ligne directe.

Un sentiment désagréable envahit Éva.

— Je suis désolée, il ne décroche pas. Je peux prendre un message ?
— Non, je vous remercie. Bonne journée.

Éva quitta l’imposant bâtiment, s’engouffra dans sa voiture et appela Stan. Pas de réponse. Elle regagna leur appartement. Elle s’interrogeait sur les raisons de cette absence dont elle n’était pas informée. Stan ne quittait jamais son bureau.

*******

Carl changea d’avis en chemin. Pas question de rentrer. Il était bien décidé à terminer sa conversation avec Anna. Abattu comme il l’était, le ton serait beaucoup moins explosif que lors de sa dernière visite. Son couple était désormais sa priorité. Il devait, malgré tout, démêler ce sac de nœuds qui le rendait fou. Anna aussi le rendait fou, fou de désir. Pourtant, il aimait sa femme éperdument. Comment était-ce possible ? Ce supplice le dévorait.

Il se remémora sa rencontre avec Anna. Une nymphe, apparue comme par enchantement et qui le captiva au premier regard. Ce fut irrésistible, inévitable. Lors d’un séminaire, six mois plus tôt, Carl, accompagné de son collègue et meilleur ami Jimmy, décidait de se changer les idées après une conférence. Ils optèrent pour une partie de bowling. À leur arrivée, ils s’assirent à une table face aux pistes afin de boire un verre avant d’entamer quelques parties. Elle était là, belle, pétillante, sourire aux lèvres. Elle s’amusait comme une enfant dans le corps d’une femme. Sur la piste avec une amie, elle prenait un plaisir spontané à faire tomber les quilles. Jimmy dut claquer des doigts pour sortir Carl de sa rêverie. Dès lors, des échanges silencieux s’installèrent. Anna voyait que cet homme la regardait avec attention. À ce moment précis, il était trop tard, Carl allait indubitablement sombrer dans le tourbillon de l’exaltation et de l’excitation du jeu de la séduction. Tout dans l’attitude d’Anna invitait Carl à l’aborder. Dans un élan de folie douce, avec cette assurance presque prétentieuse qui caractérise le mâle en quête de reconnaissance, il s’autorisa un contact. Plutôt que d’investir une piste libre, ils s’incrustèrent sur celle des filles. Dans un éclat de rire, celles-ci acceptèrent avec un plaisir non dissimulé. Ce fut le début d’une soirée récréative si agréable qu’ils avaient l’impression de tous se connaître depuis longtemps. Cette parenthèse se termina par un dernier verre. L’insistance du regard d’Anna, ses yeux noisette malicieux et enjôleurs enchaînaient Carl à sa chaise. Il refusait de partir, il se sentait bien. Pas de travail, pas de stress, pas de pression, loin du quotidien rébarbatif et du manque de peps de sa vie privée. Les conditions idéales pour céder à la tentation. Jimmy avait déjà conclu avec l’amie d’Anna, et abandonnait Carl et sa muse devant leur verre pour s’éclipser au bras de sa nouvelle conquête. Le célibataire, beau gosse, avait encore frappé !
Mais il n’aurait jamais imaginé que Carl trompe Éléonore. C’est seulement le lendemain que les compères se confiant l’un à l’autre parlèrent de leur nuit respective. Jimmy, déconcerté, pensa que cet écart conduirait Carl à évaluer l’importance de son mariage, mais le charme naturel d’Anna et sa fraîcheur détournaient Carl du droit chemin. Plusieurs fois, il voulut mettre un terme à cette relation, tout comme Anna quand elle sut qu’il était marié. Mais c’était plus fort qu’eux, dès qu’ils se voyaient, l’idée de la rupture les torturait.
Le téléphone portable de Carl sonna. Il décrocha, encore au volant.

— Carl, c’est Éric. Éléonore est réveillée. Il faut que tu viennes.
— Tout va bien ?
— Oui, rassure-toi, mais ses souvenirs sont flous.
— Elle a perdu la mémoire ?
— Pas tout à fait. Rejoins-moi, je t’expliquerai. Je t’attends.

Il opéra un demi-tour et roula en direction de l’hôpital à une allure d’escargot. Plongé dans ses pensées, il ne s’était pas rendu compte de la lenteur de la circulation. Arrivé enfin au feu tricolore, celui-ci passa au rouge. Carl s’arrêta. L’agacement montait crescendo, ses doigts tapotaient le volant. Sous la pression et l’attente, il commit l’impensable. Il enclencha la première, écrasa l’accélérateur et démarra en trombe. Il esquiva, de justesse, un véhicule qui traversait le carrefour en virant sur le côté, et renversa un conteneur de poubelles. Il venait d’éviter le pire. Enfin, c’est ce qu’il croyait jusqu’à ce qu’il distingue deux motards dans le rétroviseur. Sans aucun doute, c’était pour lui. Il prit conscience qu’Éléonore gisait sur un lit médicalisé pour les mêmes raisons. Résigné, il se gara dès qu’il put et fut très vite rattrapé par les agents. Il ouvrit la vitre.

— Bonjour, monsieur. Papiers du véhicule, s’il vous plaît.

Carl s’exécuta.

— Je suis désolé, on m’attend à l’hôpital. Ma femme a eu un accident aujourd’hui et vient seulement de se réveiller.
— Je comprends, monsieur, mais votre comportement a mis d’autres automobilistes en danger. Et vous me dites que votre femme a eu un accident aujourd’hui ? Que s’est-il passé ?

Carl baissa la tête. Il se doutait que sa réponse ne manquerait pas de faire réagir son interlocuteur.

— Elle a brûlé un feu rouge, balbutia-t-il.
— Je ne vous félicite pas ! Vous souhaitiez la rejoindre en ambulance peut-être ?

Devant l’ironie déplacée du motard, Carl perdit son sang-froid.

— Monsieur l’agent est très drôle ! Monsieur l’agent retarde un homme fou d’inquiétude attendu à l’hôpital par sa femme qui a besoin du réconfort de son mari !
— Calmez-vous, monsieur ! Je comprends votre nervosité, mais je vais devoir procéder à un test d’alcoolémie et vous verbaliser pour conduite dangereuse et outrage à agent si vous ne vous modérez pas !
— Comment voulez-vous que je me calme, merde ! Arrêtez de faire chier les honnêtes gens et allez casser du délinquant !

Le deuxième motard, resté en retrait, ouvrit la portière de la voiture.

— Sortez du véhicule !
— Allez, s’il vous plaît ! Je dois vraiment me rendre à l’hôpital.
— Je vous ai demandé de sortir du véhicule, tout de suite !

Carl vociférait toutes sortes de noms d’oiseaux à l’intention des deux agents sans obtempérer. Il sentit une pogne très ferme l’attraper par l’épaule et le forcer à sortir. Tentant de résister, il se retrouva face au capot, les mains derrière le dos, menotté ! Le deuxième motard appela le central pour que l’on vienne chercher le contrevenant. Carl allait devoir s’expliquer au poste de police. Son impulsivité lui causait une nouvelle fois du tort. La danse des questions incessantes recommençait. De quoi se souvenait Éléonore exactement ? De qui ? Sa mémoire était-elle altérée définitivement ou seulement pour quelque temps ?

À SUIVRE…

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