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ÉPISODE 2/14
Résumé de l’épisode précédent:
Après avoir passé la nuit avec sa maitresse, Carl part travailler, contrarié. Convaincu que sa femme se doute de quelque chose, il se confie à son collègue et ami, Jimmy. Ce dernier, friand de détails croustillants, accroit son agacement pendant leur conversation et surprend par ses drôles de conseils. À midi pile, Carl sort de la banque pour rejoindre Éléonore.
ÉPISODE PRÉCÉDENT / 1 Le temps des doutes
2-La surprise
Carl roulait, nerveux, et sans le moindre appétit. Il était convaincu de la perfidie de ce déjeuner. Éléonore lui avait donné rendez-vous à l’Al Bacio sur l’avenue de Suffren dans le 7e arrondissement de Paris, où ils habitaient. Proche de leurs lieux de travail et de taille réduite, cet endroit était parfait pour une pause repas et une discussion. Éléonore adorait son métier, un peu trop selon son mari. Il était rare qu’elle se libère, ce qui ne le rassurait pas sur la raison de cette entrevue. Après beaucoup de temps gaspillé à dénicher une place pour se garer, il pénétra dans le restaurant. Il balaya la salle du regard, mais ne trouva pas sa femme. Un serveur, le sentant perdu, s’approcha et lui demanda s’il avait réservé. Carl resta muet, les yeux fixés sur la créature qui apparut et le dépassa, sans même le voir.
— É… Éléonore ?
— Ah, tu es là ! Je suis vraiment désolée, je pensais arriver avant toi, mais les éternels embouteillages sont venus à bout de mon organisation. On s’assoit ?
Le serveur les installa et leur apporta la carte. Carl n’avait toujours pas prononcé un mot. Il contemplait sa moitié d’un air hébété. Éléonore était d’ordinaire élégante et classique, d’une beauté placide, tirée à quatre épingles, un peu stricte, et les cheveux souvent attachés. La Vénus qui se tenait devant lui n’était pas celle qu’il avait laissée la veille, avant de rejoindre sa maîtresse.
— Chéri, tu te sens bien ? s’étonna Éléonore.
— Tu es si… sexy ! Carl avait les épaules tombantes, les yeux écarquillés, un air niais, et glissait de plus en plus sur sa chaise. Visiblement, cela amusait beaucoup Éléonore qui faisait mine de ne pas comprendre.
— Tu es sûr que ça va ? pouffa-t-elle.
— Oui… oui, c’est juste que…
— Je suis sexy, j’ai entendu. Je ne te plais pas ? Je me suis accordé une matinée rien que pour moi. Shopping, coiffeuse, et je suis passée à l’institut rendre visite à Éva. J’ai pris le temps de profiter de quelques soins du visage et d’un massage. À ce propos, Éva et Stan nous invitent à dîner samedi. J’ai accepté.
— Ce samedi ? Tu aurais pu m’en parler avant.
— J’aurais pu en effet. Tu n’as pas répondu à ma question, je ne te plais pas ?
— Bien sûr que si. Et si je compte le nombre d’hommes de cette salle qui se sont retournés sur toi, je dirais que tu es désirable et très attirante.
Éléonore était transformée. Sa robe bustier blanche, courte, à motifs colorés façon Patrice Murciano, dévoilait ses sublimes épaules sur lesquelles tombaient ses cheveux mi-longs, noirs, légèrement bouclés. Cintrée à la taille, rehaussée d’un volant, cette petite robe dessinait chaque courbe de son corps. Des escarpins terminaient ses divines jambes dorées par le soleil. Elle arborait un fin collier qui surplombait son décolleté suggestif. Elle resplendissait.
— Comment va Éva ? demanda Carl
— Très bien. Elle est ravie de notre prochaine visite.
— À ce propos… Pourrait-on reporter ce dîner ?
— Pourquoi ? Tu as quelque chose de planifié ailleurs ? ironisa-t-elle.
Ses éventuels soupçons pesaient sur Carl.
— Non pas du tout. Je ne vois pas ce que je pourrais avoir prévu un samedi soir, à part être avec toi, répondit-il.
— Bien ! Alors, allons à ce dîner, ça nous détendra.
Carl soupira.
— C’est ça, allons-y et profitons de l’air idiot et affamé que Stan affiche chaque fois qu’il te parle !
— Je t’ai déjà dit à maintes reprises que tu te faisais des idées. Stan m’apprécie autant que je l’apprécie, mais il reste le compagnon de mon amie d’enfance et rien de plus.
— Pour toi peut-être, pour lui j’en suis moins sûr…
— C’est possible de ne pas revenir là-dessus, s’il te plaît ?
— Je n’aime pas la façon dont il te regarde. Il a pour toi une telle admiration que tu pourrais lui demander n’importe quoi !
— Jaloux ? Tu n’as pourtant aucune raison de l’être. Tu devrais garder ton énergie pour d’autres choses…
Encore une phrase à double sens pour Carl qui ne savait plus comment interpréter les paroles de sa femme. Après avoir passé commande, il se ressaisit. Il ne se souvenait pas, en dix ans de vie commune, d’un tel magnétisme. Il se remémora leur première rencontre. C’était le jour de son entretien d’embauche à la banque. Ils s’étaient tous les deux télescopés, lui en entrant et elle en sortant. Éléonore était une cliente de l’établissement. Il ne tarda pas à la revoir souvent puisqu’il avait, ce jour-là, décroché son poste tant convoité. Il était tombé sous le charme de la confiance que cette étudiante en médecine avait en elle, de son attitude posée et sérieuse, de ses traits fins et délicats. Elle s’était laissé séduire en acceptant sa énième et maladroite invitation à dîner. Au bout de quelques mois, ils s’installaient dans leur appartement haussmannien du 7e arrondissement de Paris et se mariaient l’année suivante. À cette époque, Éléonore terminait ses études. Depuis, Carl avait obtenu la fonction d’adjoint de direction et Éléonore avait trouvé sa place à l’hôpital. À trente-huit ans, c’était une femme sublime, professionnellement très engagée, ce qui lui laissait peu de temps et peu d’énergie en dehors du travail. Comment en étaient-ils arrivés là ? Pourquoi Carl avait succombé à la tentation ?
— Carl ? Tu rêves ?
— Euh… pardon, dit-il confus.
— Monsieur te demande s’il peut servir le vin.
— Tu as commandé du vin ? répondit-il interloqué.
— Oui, pendant que tu rêvassais.
— Non, merci, pas avant le travail.
— Avec plaisir pour moi, monsieur, s’il vous plaît.
— Tu bois de l’alcool avant de prendre ton service à l’hôpital ?
— Je ne travaille pas cet après-midi.
— Un changement de dernière minute ? s’étonna Carl.
— Non, j’ai pris ma journée.
— Toi ? Tu as pris une journée ? Pour courir les magasins ? Et tu ne m’en parles pas !
— Je viens de le faire.
— Tu es surprenante aujourd’hui !
— Je suis si triste que ça les autres jours ? lança-t-elle avec un rictus.
Carl ne répondit pas. Son esprit recommençait à le torturer. Ce déjeuner semblait sortir d’un monde parallèle. Il ne parvenait toujours pas à confirmer les soupçons de sa femme. Éléonore cherchait-elle réellement à lui plaire ou jouait-elle parce qu’elle connaissait la situation ? En réalité, elle devinait que son mari la trompait, sans aucune idée précise de l’identité de cette fille, mais c’était une certitude. Le déjeuner touchait à sa fin quand le portable d’Éléonore sonna. C’était Éva, sa meilleure amie.
— Oui Éva ?
— Ma chérie, une invitée inattendue se joint à nous samedi, je souhaitais m’assurer que ça ne vous dérange pas ?
— Non, au contraire, ça fait du bien de rencontrer de nouvelles têtes.
— Parfait ! Stan ne voulait pas imposer sa présence. C’est une amie de longue date apparemment.
— Comment ça «apparemment» ? Tu ne la connais pas ?
— Non, je ferai sa connaissance en même temps que vous. La seule chose que je sais, c’est qu’elle s’appelle Anna.
— Très bien, alors à samedi. La soirée sera excellente, je n’en doute pas. Je t’embrasse.
Éléonore raccrocha.
— Un problème ? demanda Carl
— Pas du tout. Éva voulait juste savoir si une amie de Stan pouvait se joindre à nous samedi, une certaine Anna qu’elle ne connait pas.
Carl devint soudainement blanc et crut mourir en entendant sa femme prononcer ce prénom. Ses mains se mirent à trembler, son estomac se ferma. Non, ça ne pouvait pas être la même Anna ! Impossible ! Si sa dulcinée côtoyait un homme comme Stan, ce n’était sûrement pas par pure amitié. Carl ne savait plus, sa tête tournait. Il écourta la fin du déjeuner prétextant son retour au bureau. Il embrassa Éléonore et partit sans se soucier du paiement de l’addition… Sur la route, tous les scénarios s’enchaînaient. Et s’il se retrouvait en face de sa maîtresse ce samedi ?
À SUIVRE…
© Copyright 2016 Florence DAUPHIN